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2 juillet 2025

La Charte des droits et libertés de la personne célèbre ses 50 ans!

« Si, les droits ne s’appliquent pas à toutes et tous, ce ne sont plus des droits, mais des privilèges »[1]

C’est en 1975, le 27 juin, que le Québec adopta la Charte des droits et libertés de la personne (« la Charte québécoise »). Cette dernière est alors considérée comme avant-gardiste, vu sa portée beaucoup plus large que les autres instruments de protection des droits de la personne adoptés, notamment par les autres provinces canadiennes, étant donné sa variété de droits et libertés protégés, et ce, autant au niveau civil, judiciaire et politique, qu’économique, social et culturel[2].

À la suite de la Seconde Guerre mondiale, un mouvement occidental de protection des droits de la personne est né, notamment avec l’adoption, en 1948, par l’Assemblée générale des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme[3]. Cet instrument international marque le début de la préoccupation majeure qu’est la nécessité d’accorder une protection aux droits fondamentaux[4]. Pour les régimes démocratiques occidentaux, le respect et la protection des droits et libertés de la personne sont ainsi devenus une priorité collective[5].

Le Québec, alors influencé par ce courant international, n’y échappe pas. Après avoir traversé la Révolution tranquille, la crise d’Octobre, où près de cinq cents (500) personnes sont emprisonnées et même la grève du Front commun de 1972, culminant avec l’emprisonnement de leaders syndicaux, il devient prioritaire que l’État s’assure de protéger les droits de tous, peu importe leur origine, leur sexe, leur statut social, leur religion ou leurs opinions politiques[6]. C’est avec l’adoption de la Charte québécoise ainsi que la création quelques années plus tard du Tribunal des droits de la personne que l’État québécois démontre sa volonté collective de garantir et de protéger les valeurs fondamentales démocratiques telles que la liberté et l’égalité[7]. L’adoption de la Charte québécoise comporte également la création de la Commission des droits de la personne (« la Commission »). Sa mission est de veiller au respect des principes énoncés dans la Charte québécoise, notamment en recevant les plaintes des citoyens qui se croient victimes d’une violation au droit à l’égalité[8]

Cette loi, unique dans l’histoire législative canadienne, est le résultat des luttes pour l’égalité, la justice sociale et les droits fondamentaux au Québec et continue de marquer profondément l’histoire de celles-ci depuis son adoption il y a cinquante (50) ans. La dignité de tous exige que l’on soit à même d’identifier les discriminations et inégalités fondamentales qui perdurent, notamment dans nos milieux de travail, mais également dans nos lois, règlements, et politiques publiques afin d’y remédier[9].

La Charte québécoise en droit du travail – À la défense des droits fondamentaux des travailleurs et travailleuses depuis un demi-siècle

Cinquante (50) ans après son adoption, la Charte québécoise a contribué à plusieurs avancées majeures au sein de la société québécoise, notamment quant au droit à l’égalité des femmes et l’inclusion des personnes en situation de handicap ainsi que de nombreuses autres luttes contre la discrimination au travail.

Par exemple, en 1982, l’ajout explicite à la Charte québécoise du motif de discrimination lié à la grossesse vient de la mobilisation de groupes de femmes et de comités de condition des femmes au sein de syndicats afin de faire cesser la discrimination à l’encontre des femmes qui souvent étaient victimes de congédiement en raison de ce motif[10].

Au surplus, et bien que le Tribunal des droits de la personne possède une compétence spécialisée pour les causes de discrimination, celle-ci n’est pas exclusive[11]. Les tribunaux de droit commun conservent tout de même compétence pour tout ce qui concerne la Charte québécoise. Il y a également diverses instances administratives qui détiennent d’autres compétences exclusives nécessitant l’interprétation et l’application de la Charte québécoise. Par exemple, dans un cas de discrimination issu d’un milieu de travail syndiqué, rappelons que l’arbitre de grief qui se voit attribuer une compétence exclusive pour tout litige lié à la mise en œuvre de la convention collective[12]. Depuis l’affaire Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c S.E.E.F.P.O., section locale 324[13] de la Cour suprême en 2003, il n’y a plus de doute, l’arbitre de grief a bel et bien la compétence nécessaire pour appliquer la Charte québécoise à tout litige découlant de l’application de la convention collective.

Ainsi, l’application de la Charte québécoise par les différents tribunaux judiciaires ou administratifs a permis, au fil du temps, de belles avancées en milieu de travail afin de protéger les droits fondamentaux des travailleurs et travailleuses, notamment, mais non limitativement, en matière de :

Sécurité d’emploi et financière pour les femmes enceintes et en congé de maternité – Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil, [1999] R.J.Q. 1883; Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, 2014 CSC 33 - Commission scolaire des Découvreurs c. Syndicat de l'enseignement des Deux-Rives (SEDR-CSQ), 2015 QCCA 910;

Égalité en emploi et l’obligation d’accommodement raisonnable - Gaz métropolitain inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011 QCCA 1201; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4;  Hydro-Québec c. Syndicat des employées et employés de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43; Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Caron, 2018 CSC 3; Aluminerie de Bécancour inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2021 QCCA 989;

Équité salariale – Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17;

Reconnaissance du droit à la vie privée dans un contexte de travail - Mascouche (Ville) c. Houle, 1999 CanLII 13256 (QC CA); Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 RCS 844;

Protection de la liberté d’association - Association professionnelle des ingénieurs du Gouvernement du Québec c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 1171.
 
Les défis à venir – La réforme du système actuel pour une meilleure accessibilité et effectivité de l’ensemble des droits garantis à la Charte québécois 

Tous les droits protégés à la Charte québécoise sont interdépendants des luttes passées et si ces droits sont dorénavant consacrés comme fondamentaux au sein de notre société, ils demeurent fragiles. Leur avenir restera tributaire des luttes, des mobilisations et de la solidarité à venir[14].

Malgré les nombreuses avancées accomplies en matière de protection des droits fondamentaux depuis l'adoption de la Charte québécoise il y a cinquante (50) ans, il reste du chemin à parcourir pour atteindre une réelle égalité et assurer un meilleur accès à la justice pour tous, notamment quant à la discrimination envers les minorités ethnoculturelles et aux communautés autochtones, aux libertés d'expression, d'association, de réunion pacifique ainsi qu’au droit de manifester et à l'inégalité entre les femmes et les hommes qui persiste[15].

Dans les milieux de travail, les défis afin de faire reconnaitre les droits fondamentaux demeurent également un combat constant. Nous n’avons qu’à penser aux travailleurs étrangers temporaires, notamment ceux travaillant sous permis de travail fermé, ce que le rapporteur spécial de l’Organisation des Nations unies a qualifié d’« esclavagiste moderne » en 2024[16], ou encore à la récente attaque envers le droit à la liberté d’association, le droit à la négociation collective et le droit à la grève avec les modifications adoptées au Code du travail[17].

Le débat sur l’accessibilité à la justice est au cœur de notre société québécoise depuis déjà plusieurs années. Nous entendons parler de cette notion depuis déjà plus de trente (30) ans et elle occupe une grande place au sein du domaine juridique[18]. Les droits consacrés à la Charte québécoise n’y échappent pas

D’une part,  en matière d’accessibilité à la justice, plusieurs sont d'avis que la Charte québécoise mériterait d’être mieux connue et plus souvent invoquée par les acteurs du milieu juridique afin de permettre notamment aux tribunaux de délaisser leur vision davantage « civiliste » du droit en faveur d'une mise en œuvre effective des droits garantis dans la Charte québécoise[19].

D’autre part, bien que la Commission ait un mandat large d’éducation, d’information et de promotion des droits inscrits à la Charte québécoise, son pouvoir d’enquête est restreint aux plaintes en matière de discrimination au sens des articles 10 à 19 et en cas d’exploitation des personnes âgées ou handicapées énoncé au premier alinéa de l’article 48 de la Charte québécoise[20]. Le Tribunal des droits de la personne se retrouve donc également avec une juridiction limitée, étant liée aux enquêtes faites par la Commission.

Ainsi, plusieurs droits contenus à la Charte québécoise se retrouvent alors à échapper à la compétence de la Commission et du Tribunal, que ce soit les droits et libertés fondamentaux, les droits politiques, les droits judiciaires ou encore les droits économiques, sociaux et culturels[21].

Il en est de même de l’absence du statut de primauté constitutionnelle accordé aux droits sociaux, économiques, et culturels, tel que le droit à « des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique »[22] que certains considèrent comme un non-sens lorsqu’il est constaté l’interdépendance et le caractère indivisible des droits que l’on retrouve à la Charte québécoise.

Par conséquent, des acteurs du milieu sont d’avis que nous devrions profiter des cinquante (50) ans de la Charte québécoise pour prendre le temps, en tant que société, de se questionner sur l’importance d’une meilleure accessibilité à la justice à l’égard des droits garantis à la Charte québécoise, d’envisager une réforme quant à un recours spécialisé et effectif pour l’ensemble des droits que l’on trouve garantis à la Charte québécoise, y compris ceux sociaux, économiques et culturels et de continuer à promouvoir et considérer la prépondérance des droits protégés à notre charte[23].

Pour plus de détails, voir le site de la CDPDJ : https://www.cdpdj.qc.ca
 

[1] Diane Lamoureux, « Nos luttes garantissent nos droits » dans Droits et libertés, (Re)Construire l’édifice des droits humains – 50 ans de la Charte québécoise, vol. 44, numéro 1, printemps/été 2025, à la p 21.
[2] Michèle Rivet, « L’accès à un tribunal spécialisé en matière de droit à l’égalité : l’urgence d’agir au Québec? – Quelques notes introductives » dans L’accès direct à un tribunal spécialisé en matière de droit à l’égalité : l’urgence d’agir au Québec? Actes d’un colloque tenu les 22 et 23 novembre à Montréal, Cowansville, Yvon Blais, 2008, à la p 14.
[3] Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés AG 217(III), DOC off AG NU, 3e sess, supp n°13, Doc NU A/810 (1948). 
[4] Jacques-Yvan Morin, « Propos liminaires » dans Hors-série – La Charte québécoise : origines, enjeux et perspectives, (2006) 66.5 R. du B. 0, Montréal, Barreau du Québec, 2006. [Morin]
[5] Gérald R. Tremblay, « Allocution d’ouverture » dans L’accès direct à un tribunal spécialisé en matière de droit à l’égalité : l’urgence d’agir au Québec? Actes d’un colloque tenu les 22 et 23 novembre à Montréal, Cowansville, Yvon Blais, 2008, à la p 1.
[6] Paul-Étienne Rainville, « (Re)construire l’édifice des droits humains » dans Droits et libertés, (Re)Construire l’édifice des droits humains – 50 ans de la Charte québécoise, vol. 44, numéro 1, printemps/été 2025, à la p 16.
[7] Anne-Marie Jones, « Allocution d’ouverture » dans Tribunal des droits de la personne et Barreau du Québec, Le Tribunal des droits de la personne : 25 ans d’expérience en matière d’égalité, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, à la p 1.
[8] Morin supra note 4.
[9] Diane Lamoureux, « Nos luttes garantissent nos droits » dans Droits et libertés, (Re)Construire l’édifice des droits humains – 50 ans de la Charte québécoise, vol. 44, numéro 1, printemps/été 2025, à la p 21.
[10] Diane Lamoureux, « Nos luttes garantissent nos droits » dans Droits et libertés, (Re)Construire l’édifice des droits humains – 50 ans de la Charte québécoise, vol. 44, numéro 1, printemps/été 2025, à la p 21.
[11] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39 au para 19, [2004] 2 RCS 185.
[12] Article 100 du Code du travail, lu conjointement avec la définition du terme « grief » à l’article 1 f) de ce même code.
[13] Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 RCS 157.
[14] Paul-Étienne Rainville, « (Re)construire l’édifice des droits humains » dans Droits et libertés, (Re)Construire l’édifice des droits humains – 50 ans de la Charte québécoise, vol. 44, numéro 1, printemps/été 2025, à la p 17.
[15] Anne-Marie Jones, « Allocution d’ouverture » dans Tribunal des droits de la personne et Barreau du Québec, Le Tribunal des droits de la personne : 25 ans d’expérience en matière d’égalité, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, aux pp 6-7.
[16] Amel Zaazaa et Meritxell Abella Almenara, « Travailler sous permis de travail fermé? » dans Droits et libertés, (Re)Construire l’édifice des droits humains – 50 ans de la Charte québécoise, vol. 44, numéro 1, printemps/été 2025, à la p 36.
[17] Voir notamment le texte du Projet de loi 89, adopté le 28 mai dernier par l’Assemblé nationale.
[18] Anne-Marie Santorineos, « Le nouveau Code de procédure civile : vers un accès proactif à la justice » dans Louise Lalonde et Stéphane Bernatchez, dir. Le nouveau Code de procédure civile du Québec. « Approche différente » et « accès à la justice civile »?, Sherbrooke, Éditions Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, 2014, à la p 344.
[19] Anne-Marie Jones, « Allocution d’ouverture » dans Tribunal des droits de la personne et Barreau du Québec, Le Tribunal des droits de la personne : 25 ans d’expérience en matière d’égalité, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, aux pp 6-7.
[20] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art 71.
[21] Pierre Bosset, « La place des institutions publiques dans la mise en œuvre des droits et libertés au Québec : barrières, filtres ou passerelles? » dans L’accès direct à un tribunal spécialisé en matière de droit à l’égalité : l’urgence d’agir au Québec? Actes d’un colloque tenu les 22 et 23 novembre à Montréal, Cowansville, Yvon Blais, 2008, à la p 354.
[22] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art 46.

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