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3 juin 2024

La notion de lésion psychologique : vers une évolution jurisprudentielle ?

Dans le cadre du travail, la reconnaissance d’une lésion de nature psychique découlant de circonstances telles une agression, une explosion, des menaces ou un vol à main armée ne présentent généralement pas de difficulté, car l’événement constitue en soi « un événement imprévu et soudain […] survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle », ce qui correspond à la définition de l’accident de travail énoncée à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Cependant, les situations de harcèlement, de discrimination, de milieu de travail toxique ou de surcharge de travail peuvent être plus complexes à faire reconnaître en ce qu’elles ne correspondent pas nécessairement à la notion d’accident de travail au sens littéral. Pour remédier à la situation, les tribunaux ont élargi la notion d’accident de travail afin que la lésion psychologique puisse entrer dans cette définition. Les critères développés et qui se sont perpétués depuis plus de 30 ans se résument comme suit :

  • Un événement unique ou un cumul d’événements survenus par le fait ou à l’occasion du travail qui, lorsqu’ils sont considérés globalement, peuvent devenir significatifs et ainsi présenter le caractère d’événement imprévu et soudain requis par la loi;
  • Ce ou ces événements doivent être objectivement traumatisants; et
  • Le ou les événements doivent déborder du cadre habituel, normal ou prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail. 

Récemment, le Tribunal administratif du travail (« Tribunal ») a rendu des décisions remettant en question ce cadre juridique dans le but d’alléger le fardeau de preuve du travailleur souffrant d’une lésion psychologique liée à son travail1. Selon ce nouveau courant, le critère de l’« événement objectivement traumatisant » dénature la notion d’événement imprévu et soudain et alourdit le fardeau de preuve du travailleur. Les décideurs adoptant ce nouveau courant sont d’avis que le caractère imprévu et soudain d’un événement doit plutôt résider « dans la singularité des situations vécues par le travailleur au sein de son milieu de travail » en tenant compte, notamment, de la nature du milieu de travail et ses particularités, d’un changement dans les comportements, de l’apparition de nouveaux comportements touchant le travailleur ou encore de la modification ou de l’élaboration de nouvelles exigences professionnelles, comportementales ou disciplinaires ciblant le travailleur.

Toutefois, malgré cette évolution jurisprudentielle,  le Tribunal est venu se positionner fermement en opposition à l’évolution jurisprudentielle des critères d’analyse de la lésion psychologique dans la récente décision Beaulieu et Groupe Crête Division Riopel2. À cet égard, le Tribunal explique qu’il est important de conserver le critère du caractère objectivement traumatisant des événements, tout en l’utilisant avec discernement. Pour ce décideur, l’exigence de démontrer que les événements débordent du cadre habituel, normal ou prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail est essentielle en ce qu’elle permet de différencier les facteurs de stress normaux, tels que les échéanciers et l’exigence de productivité, de ceux anormaux comme la discrimination et le harcèlement. Le Tribunal réfute donc la proposition du nouveau courant et ne voit pas la nécessité de modifier le consensus jurisprudentiel qui existe en matière de lésion psychologique.

Il y a donc maintenant deux courants de pensée qui se font face. Bien que le courant d’origine soit établi depuis plusieurs années, il est possible que le nouveau courant continue à faire des adeptes au bénéfice des droits des travailleurs.

[1] Voir notamment : Preure et Centre de services scolaire de Montréal, 2022 QCTAT 253; et Patenaude et Centre de services scolaire des Hautes-Rivières, 2023 QCTAT 2384.
[2]  2024 QCTAT 1005.

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